histoire
et philosophie du caodaisme
GABRIEL
GOBRON
Bouddhisme
rénové - spiritisme annamite - religion nouvelle en Eurasie.
[
Les documents présentés ici ont été écrits ou rassemblés par M. Gabriel
GOBRON, entre 1937 et 1939 ]
INTRODUCTION
LE
CAODAISME
Le
mot Caodaïsme vient de Cao-Dài dont la traduction littérale correspond
à : Palais Suprême. Ce double terme se trouve dans les plus antiques prières
bouddhiques. Ceci situe la principale origine de cette religion qui est
d'abord, nous le verrons, celle du Bouddhisme rénové.
Religion
nouvelle ( son message essentiel date de 1926 ), elle plonge
ses racines aux traditions les plus éprouvées du Bouddhisme et aux révélations
les plus pures.
Le
Caodaïsme est, jusqu'à un certain point, comparable à ce que le Protestantisme
était, à son origine, vis-à-vis du Catholicisme romain. Du reste, même
cette possibilité de comparaison est déjà dépassée dans le sens bénéfique,
c'est-à-dire dans le sens de la bonne entente, comme il est maintenant
permis d'envisager pour un avenir plus ou moins lointain l'union des Église
chrétiennes dans une totale unité catholique.
Ce
qui caractérise le Caodaïsme, c'est son esprit de synthèse. C'est pourquoi
son rôle conciliateur peut rendre de grands services à la paix religieuse,
donc à la paix tout simplement.
Il
n'y a pas de sectarisme dans le Caodaïsme, aussi au lieu de tendre à l'opposition
des religions entre elles, cette religion nouvelle constitue et constituera
de plus en plus une invite permanence à la bonne entente entre les diverses
obédiences religieuses, mystiques, philosophiques ou ésotériques.
Bonne
entente de toutes les forces spirituelles qui doit donner au monde une
meilleure harmonie sur tous les plans.
Notre
regretté ami, Gabriel Gobron, voulait montrer la beauté, les réalités,
l'efficacité de la religion caodaïste tout en exposant l'histoire et la
pratique.
Gabriel
Gobron, né à Bayonville le 5 juillet 1895, a quitté son enveloppe charnelle
et de souffrance le 8 juillet 1941 à Rethel.
Polyglotte
émérite, chercheur infatigable dans le monde de l'Esprit et des esprits,
romancier, historien, journaliste, professeur, Gabriel Gobron fut un curieux
et aussi un curieux homme. Grand c÷ur, par sa générosité intellectuelle
débordante, il fut polémiste ardent.
Curieux
certes, mais sans dilettantisme quand il pensait avoir découvert une beauté
spirituelle, une vérité philosophique ou religieuse, il voulait aussitôt
la faire connaître, la faire partager. Il n'hésitait pas à combatte,
toujours avec fougue, ceux qui, à ses yeux, voulaient mettre la lumière
sous le boisseau. C'est ainsi qu'il découvrit le Caodaïsme, c'est ainsi
qu'il combattit jusqu'à son dernier souffle, en priant pour son épanouissement.
Gabriel Gobron, grande intelligence, fut surtout un grand cœur
Après
la période de recherches, d'études et de découvertes dès 1930, Gabriel
Godron fut un propagateur convaincu, un initiateur éclairé et bientôt,
officiellement accrédité du Caodaïsme en Occident et plus particulièrement
en France.
Conférences,
articles, études se succédèrent et avec des textes demeurés inédits, ils
formèrent un dossier copieux dont le présent livre posthume est une des
principales parties.
C'est
ainsi que le présent ouvrage constitue un authentique message de l'Au-Delà.
Ce fut pour nous une ÷uvre bien consolante de mettre au point ce
texte et, hélas ! de le réduire à deux cents pages.
Message
de l'Au-Delà, cette œuvre posthume sera, nous l'espérons, particulièrement
bien accueillie par les nombreux amis spirites de l'auteur qui a tant
fait, par la plume, la parole et l'expérimentation, pour le Spiritisme.
C'est,
on peut bien le dire, le Spiritisme qui mena Gabriel Gobron vers le Caodaïsme
car, ainsi que nous le verrons, cette religion, véritable Bouddhisme rénové,
eut à son origine, et conserve encore, des liens certains avec le Spiritisme.
D'où le second sous-titre dicté par Gabriel Gobron : Le Spiritisme annamite.
Par
respect pour la mémoire de l'auteur, autant que pour l'exactitude de présentation,
nous avons conservé ces deux sous-titres qui qualifient parfaitement :
Le Caodaïsme, Bouddhisme rénové et Spiritisme annamite Nous aurions pu,
pour être complet, ajouter : synthèse des religions. C'était là empiéter
sur un ouvrage que nous espérons plus tard révéler au public si on nous
donne les encouragements nécessaires. Encouragements qui sont d'un ordre
purement spirituel.
Car
le Caodaïsme, né du spiritisme, rénova le Bouddhisme et s'est ensuite
épanoui dans un harmonieuse synthèse des religions. Ceci sans rien perdre
de ce qu'il y avait de meilleur dan son origine spirite, ni de sa formation
bouddhique.
Véritable
théosophie, la doctrine caodaïste attirant en elle en parfaite sélection,
tout ce que les autres religions avaient de bon, de beau et, surtout,
d'essentiel soit dans la morale pratique, soit dans le rituel, soit dans
la philosophie.
La
grande modestie du Frère Gago ( c'est ainsi qu'appellent Gabriel Gobron
les caodaïstes d'Indochine ) eût volontiers limité son rôle à celui d'avocat-polémiste,
propagandiste de la religion nouvelle. Ses études, ses méditations, sa
mystique lui méritèrent davantage. On peut dire aujourd'hui qu'il est
le premier philosophe et le premier historien du Caodaïsme.
Son
œuvre semblait être inachevée lorsqu'il quitta la quotidienneté de la
vie pour l'Orient éternel ; avec la publication du présente livre, sa
valeur d'historien du Caodaïsme se trouve confirmée.
De
l'Au-Delà, Frère Gago nous éclaire et nous protège car telle était la
volonté profonde de sa Foi.
Pieusement,
écoutons-le accepter sa mission avec une humilité toute caodaïste :
"
Si nous avons accepté ce rôle ingrat de premier historien du Caodaïsme,
c'est que nos frères et amis d'Annam ont jugé dans leur indulgence excessive
que nous étions l'un des Occidentaux les mieux documentés sur les progrès
et les tribulations du bouddhisme rénové.
Une
santé précaire ne favorise guère les devoirs accablants d'une telle charge.
Nous nous excusons auprès du lecteur attentif, de toutes les imperfections
de notre travail, nous lui demandons seulement, surtout, de nous pardonner
quand il nous arrivera de n'être pas " dans la ligne ", c'est-à-dire
fraternel, même envers nos adversaires et nos ennemis : C'est qu'alors
le Caodaïste aura été indigne, il ne sera pas même arrivé à la Seigneurie
de soi-même, le malade aura arraché son bonnet dans un mouvement d'humeur
et piétiné les pages les plus sublimes du Christ, du Bouddha, de Confucius...
"
Avec
componction, nous avons transmis le message, il ne nous reste qu'à nous
taire pour laisser le lecteur lire, délivré de nos commentaires, le premier
livre posthume de Gabriel Gobron.
LES
ORIGINES
DU
SPIRITISME ANNAMITE
Le
Rev. Stainton Moses fit au Mont Athos une retraite de six mois au cours
de laquelle il étudia la théologie et confronta diverses thèses contradictoires.
Excellent exercice qui ramène l'esprit, trop porté à être doctrinaire,
dogmatique, intolérant, à plus d'humilité, de sagesse, de vérité. Il fut
ensuite nommé dans un petit presbytère de l'Ile de Man où les loisirs
ne lui manquèrent pas : Nature, lecture, prière, méditation, silence et
contemplation mystiques firent de lui un orateur poignant : L'esprit
Impérator s'était saisi déjà de lui et entendait ne plus le lâcher, pas
plus que son démon ne lâcha Socrate. Impérator mena le Rev. Stainton Moses
à l'Université d'Oxford, mais surtout fit de lui l'un des plus précieux
instruments de la " Nouvelle Révélation ", l'un des médiums
les plus subliment inspirés de notre siècle.
C'est
dans la même solitude, dans le même calme, dans la même retraite médiative,
que Cao-Dài trouva son premier caodaïste. Pas de temple plus beau que
celui de la Nature, pas de livre plus divin que le grand Livre de la Vie
: Jésus se retire au Jardin de Gethsémani, au Désert même ; Saint François
d'Assise parle à la petite s÷ur la pluie, au petit frère le vent,
aux étoiles silencieuses, aux hirondelles bavardes, et il passe sa main
sur le museau du loup de Gubbio qu'il ramène chez lui comme un bon chien
docile. Le naturaliste suédois Bengt Berg arriva à faire pondre et à faire
couver dans sa main l'oiseau le plus craintif de la Laponie : Lahol
(
Mon ami le pluvier, Stock ). Là où est le Saint, la terre est sainte
et la nature surnaturelle.
Le
premier Caodaiste
Ce
fut au début de l'année Binh-Dân ( 1926 ) que le Caodaïsme fut définitivement
fondé. Mais depuis six ans déjà, un homme adorait le Grand Maître Cao-Dài
: M. le Phu Ngô Van Chiêu, qui fut ensuite en service au 2ème
Bureau du Gouvernement de Cochinchine.
Délégué
administratif, en 1919, au poste de Phu-Quôc, île située dans le Golfe
de Siam, M. Ngô Van Chiêu menait une vie de haute sagesse,
conforme aux règles rigoureuses de la Doctrine taoïste. De temps en temps,
dans cette localité isolée si propice à la vie religieuse, il s'adonnait,
à l'aide de jeunes médiums de 12 à 15 ans, à l'évocation des Esprits supérieurs
( Câu-Tiên ) de qui il recevait les instructions nécessaires à son évolution
spirituelle. Parmi les Esprits communicants, il s'en trouvait un qui se
nommait Cao-Dài et s'intéressait de façon particulière au Phu Chiêu.
Au
début, ce nom souleva l'étonnement général des personnes présentes parce
qu'à leur connaissance aucun livre religieux n'en avait fait mention.
Néanmoins, le Phu Chiêu, dont la perspicacité faisait l'admiration
de ses camarades, crut y reconnaître un surnom de Dieu à cause des révélations
et des enseignements d'une haute portée philosophique qu'il en avait reçus
maintes reprises.
Ayant
demandé à Cao-Dài la permission de l'adorer sous une forme tangible, il
reçut l'ordre de le représenter par un oeil symbolique.
Telle
fut la conversion du premier caodaïste à la nouvelle religion qui devait,
six années plus tard, s'implanter à Sàigon. Bientôt, les fonctions administratives
du Phu Chiêu le rappelèrent à la capitale, où il conquit quelques
prosélytes à la Foi nouvelle. Mais quittons pour le moment ces premiers
convertis pour montrer aux lecteurs la manière dont le Grand Maître recruta
ses médiums.
C'était
au milieu de l'année Ât-Suu ( 1925 ). Un petit groupe de secrétaires annamites
appartenant à diverses administrations à Sàigon, se délaissaient chaque
soir, en faisant du spiritisme. Ils se servaient à cet effet de la "
table frappante ". Les premiers essais furent médiocres. Mais à force
de patience et d'entraînement, ils obtinrent des résultats positifs. Aux
questions posées aux Esprits, soit en vers, soit en prose, ils recevaient
des réponses surprenantes. Leurs parents ou amis défunts se manifestèrent
pour leur parler d'affaires de famille et leur conseiller en même temps
l'abnégation. Ces révélations sensationnelles leur apprirent ainsi l'existence
d'un monde occulte.
Toutefois,
un des Esprits communicants se faisait remarquer particulièrement par
son assiduité et ses enseignements d'une haute portée morale et philosophique.
Cet Esprit qui signait sous ce pseudonyme " AAA " ne voulait
pas se faire connaître, malgré les prières des assistants. Bientôt, d'autres
secrétaires annamites vinrent grossir ce petit groupe de spirites amateurs.
Les séances devinrent alors plus sérieuses et plus régulières. Comme l'emploi
de la " table frappante " n'était pas commode, l'Esprit en question
la fit remplacer par la " corbeille à bec ". Avec cet appareil
qui permet l'écriture directe, les communications devinrent naturellement
plus rapides et moins fatigantes pour les apprentis-médiums.
Le
24 décembre 1925, à l'occasion de la Noël, l'Esprit guide, qui s'était
obstiné jusque-là à garder l'anonymat, se révéla enfin aux néo-spirites
comme étant " l'Être Suprême " venant sous le nom de Cao_Dài
pour enseigner la vérité au pays d'Annam. S'exprimant en annamite, Il
dit en substance :
"
Réjouissez-vous de cette fête. C'est l'anniversaire de ma venue en Europe
pour enseigner ma doctrine. Je suis très heureux de vous voir, ô disciples
pleins de respect et d'amour à mon égard ! Cette maison de l'un des médiums
aura toutes mes bénédictions. Les manifestations de ma Toute-Puissance
vous inspireront encore plus de respect et d'amour à mon égard... "
Dès
lors, le Grand Maître initia ses disciples à la doctrine nouvelle.
Tel
fut le recrutement des premiers médiums chargés de la réception des messages
divins.
Sur
Chiêu, le premier caodaïste, la Revue caodaïste ( n° 22, mars 1933
), à l'occasion de sa désincarnation, nous apporte quelques détails.
I.
- Son enfance
Le
Phu Ngô Van Chiêu vint au monde le 28 février 1878 à Binh-tây ( Cholon-ville
), dans une modeste maison située derrière la pagode dédiée à Quan-Dê,
le Turenne chinois.
A
sa naissance, il refusa le sein de sa mère qui dut lui donner, à la place
du lait naturel, du bouillon de riz.
Ses
parents, qui étaient fort pauvres, vinrent s'établir par la suite à My-tho
et le confièrent à sa tante, qui l'envoya à l'école. Doué d'une vive intelligence,
il ne tarda pas à se faire remarquer et à l'âge de douze ans, il se présenta
lui-même à M. l'Administrateur de la province de My-tho pour solliciter
une bourse qui lui fut accordée. Admis comme élève interne boursier, d'abord
au cycle primaire, puis au cycle complémentaire du Collège de My-tho,
il travailla avec ardeur et passa avec succès le concours de secrétaire
du Gouvernement. Pour l'époque, cet emploi envié était le couronnement
des études complémentaires franco-indigènes. Âgé alors de vingt et un
ans, le jeune homme s'en contenta, faute de pouvoir pousser plus loin
ses études, et pour venir en aide à ses parents.
II.
- Sa vie de fonctionnaire et sa vocation religieuse.
Le
fonctionnaire débutant fut affecté au Service de l'Immigration, à Sàigon.
Il y passa trois ans, de 1899 à 1902. Ayant un penchant naturel pour les
choses religieuses, il aimait à raconter les histoires des saints et les
aventures des immortels de la Chine antique qu'il avait entendu narrer
par des camarades chinois au temps où il était chez sa tante, mariée à
un Chinois. Un jour, un de ses amis le surprit en train de raconter une
histoire de saints à de petits élèves chinois de Cho-lon, à qui il donnait
tous les soirs des leçons particulières. Il avait pour les génies et les
saints un grand respect. Chez lui il avait dressé un autel en l'honneur
de Quan-Thanh Dê-Quân. Il récitait souvent le " Minh-Thanh-Kinh ",
livre de prières dont l'Esprit de ce grand général, doublé d'un homme
de haute vertu, est l'auteur, et jeûnait deux jours par mois.
En
1902, au cours d'une séance de spiritisme qui eut lieu à Thu-dâu-môt,
où il était présent, un Esprit supérieur se manifesta et, après lui avoir
révélé sa prochaine mission religieuse, l'exhorta à pratiquer sans tarder
le Dao.
Si
nous consultons la Revue illustrée, qui a entrepris une série d'articles
sur les différentes manifestations religieuses de l'Inde britannique,
du Siam, de la Chine, du Japon, des Philippines, etc., nous trouvons dans
le N° 2 de mars 1933 une étude sur le Caodaïsme en Indochine. Nous lisons
au sujet de ses origines :
"
De date récente ( 1929 ), le Caodaïsme a pris de l'ampleur rapidement
et s'est étendu dans toute la Cochinchine.
Origine.
- Au début de 1926, quelques jeunes lettrés annamites, tous bouddhistes,
se réunirent dans un " compartiment " situé en plein centre
de Sàigon. Ils avaient l'habitude de faire " tourner " la table
et de se livrer à des expériences de spiritisme.
Or,
après une période de tâtonnements, ils finirent par obtenir des résultats
" surprenants ", dirent-ils, en se servant de camarades possédant
un " fluide " puissant.
Ils
furent au début en communication spirituelle avec des sages de l'Antiquité
chinoise Ly-Thai-Bach, appelé plus communément Le-Tai-PE, l'Homère chinois,
celui qui rénova les lettres sous la 13ème dynastie Tang ( 713-742 ) et
fut un Taoïste fervent. "
Ainsi,
une fois de plus, nous apparaît justifié notre sous titre : Le Caodaïsme
ou Spiritisme annamite.
Un
témoignage français
C'est
celui de M. Jean Ross, collaborateur du journal le Colon français,
à Hai-phong, qui, sur les origines du Caodaïsme, écrivit :
"
1926 ! Nous sommes au début de l'année.
Dans
quelques jours, ce sera le Têt Annamite. A peu de distance des Halles
centrales, dans une artère perpendiculaire au boulevard Sàigon-Cholon,
une série de " compartiments " d'aspect modeste, habités pour
la plupart par des employés de grandes administrations ou de grosses sociétés.
Dans l'un d'eux, depuis de longs mois déjà, de jeunes secrétaires des
Douanes des Travaux publics des Chemins de fer, de la société o......o
- ( et ils sont loin d'être des plus mal notés ! ) - se retrouvent de
temps à autre le soir, après l'heure du bureau et s'amusent à faire tourner
une table, à la faire parler. Ils sont tous bouddhistes. Comment ont-ils
commencé ? L'un d'eux a entendu parler de spiritisme, de tables tournantes
à son bureau, où l'un de ses chefs, d'origine cochinchinoise, est un spirite
convaincu, délégué de la plus importante société de spirites de France.
Il en a parlé à son tour à plusieurs amis, et un beau jour, ils se sont
assis quatre camarades autour d'une table.
-
" On va voir si ça marche ! On va voir si c'est vrai ! " se
sont-ils mutuellement confiés. Les débuts ne furent pas toujours brillants
; mais, petit à petit, en éliminant ceux qui ne possédaient pas de "
fluide ", en les remplaçant par des camarades mieux doués, ils enregistraient
des résultats extraordinaires. Ils posaient des questions à la table qui
ne manquait pas de leur répondre. Ils demandèrent alors s'ils étaient
bien en communication avec un esprit. Il leur fut répondu affirmativement.
Cela
devenait sérieux. A chaque expérience, ils demandèrent le nom de l'esprit
qui leur parlait. Le plus souvent, c'était celui d'un des Sages de l'antiquité
chinoise, Ly Thai Bach, ou bien Quan-Thanh Dê-Quân, parfois aussi c'était
celui d'un inconnu. Là, sensiblement, ce qui, au début, avait été un amusement
avec le mysticisme qui fleurit presque toujours dans l'âme annamite, devint
une conversation privilégiée avec les Esprits supérieurs du monde occulte
auxquels ils demandaient conseils.
Aucun
doute n'effleurait leur esprit sur la nature même de ces conversations,
d'abord parce qu'étant tous partis du même point de départ, ils ne pouvaient
soupçonner une supercherie de la part de l'un d'entre eux, ensuite parce
que certaines communications de leur correspondant du Monde occulte révélaient
une telle élévation de sentiments, des connaissances scientifiques ou
philosophiques approfondies qu'aucun d'eux n'eût été capable d'en être
l'auteur.
Mais
l'emploi de table tournante pour correspondre avec le monde occulte était
vraiment peu pratique ! Il fallait un temps infini pour obtenir la moindre
phrase !
C'est
à l'époque dont je parle, c'est-à-dire peu de temps avant le Têt annamite
de 1926, qu'ils s'en ouvrirent à l'Esprit avec lequel ils correspondaient.
Il
leur répondit de se servir de la corbeille.
Et
comme ils lui demandaient de leur indiquer en quoi cela consistait - (
les personnes plus ou moins versées dans le spiritisme ou ayant seulement
assisté à une seule séance voient d'après cela combien ils étaient encore
novices ) - l'Esprit les engagea à s'adresser à leur compatriote, le Phu
Chiêu, très versé en spiritisme, car il lui serait trop difficile à lui,
de leur faire comprendre, au moyen d'une table, de quoi il s'agissait.
Du
même coup, le Caodaïsme allait naître, ou plutôt allait entrer dans sa
phase actuelle de popularité ; car, depuis de longues années déjà, comme
on va le voir, un homme adorait Cao-Dài.
Cet
homme qui suivait la sainte doctrine du Bouddha Gautama, n'était autre
que le Phu Chiêu. En dehors de la morale du Bouddha et celle de Confucius
qu'il vénérait comme des émanations divines, il croyait à l'existence
d'un Être Suprême, Tout-puissant, Maître Souverain de l'Univers, qu'il
appelait Cao-Dài. Il croyait aussi aux Esprits avec lesquels il se disait
en relation depuis de nombreuses années. La dignité de vie de ce premier
caodaïste, vers lequel étaient envoyés nos jeunes gens, était exemplaire.
Ses compatriotes, à l'unanimité, le considéraient comme un très saint
homme. Il enseigna aux secrétaires l'usage de la corbeille à bec, sur
laquelle je reviendrai plus loin, ce qui facilita grandement leurs séances
de spiritisme. Il y participa lui-même, heureux de disposer de médiums
particulièrement doués, exercés, possédant un fluide extraordinairement
puissant.
Après
être entrés en relation avec le Phu Chiêu, c'est dans les même conditions
sur les invitations du même esprit, qu'ils s'en allèrent trouver chez
lui un autre de leurs compatriotes, ancien mandarin cochinchinois, membre
du conseil de Gouvernement, Lê Van Trung, qui se livrait aussi, de temps
à autre, à des séances de spiritisme; Lê Van Trung dont ils ignoraient
le nom, avant que l'esprit ne le leur eût indiqué, n'avaient pas toujours
mené, lui, une vie d'une sagesse exemplaire, il avait, au contraire, jouit
de l'existence autant qu'il est possible de le faire au point qu'à l'heure
où nos jeunes gens furent délégués vers lui pour recevoir son enseignement
il avait en ripailles dilapidé la quasi totalité de sa fortune.
Ayant
déjà dépassé la cinquantaine, Lê Van Trung, qui passait aux yeux de tous
pour un matérialiste impénitent, à ses heures spirite amateur , considéra
comme un avertissement de l'Être Suprême le fait d'avoir été désigné avec
le Phu Chiêu qu'il connaissait de longue date, pour indiquer leur voie
aux jeunes spirites. A partir de ce jour, il résolut de mener, lui aussi,
une vie exemplaire et de se montrer digne de la mission pour laquelle
il avait été désigné par Cao-Dài. En fait, il cessa brusquement de fumer
l'opium sans en être incommodé le moins du monde ( ce qui prouve, disent
les Caodaïstes, combien il était soutenu par l'Être Suprême, car un autre
n'aurait pu se désintoxiquer aussi facilement ), il s'abstint de boire
de l'alcool, de se nourrir de viandes, de poissons, devint, en un mot,
un végétarien sincère et pratiqua l'ascétisme des bonzes les plus austères.
Cette
conversion miraculeuse attira à lui un premier lot d'adeptes en général
issus de familles aisées ou remplissant des fonctions administratives
d'un rang assez élevé, notamment le Phu-Tirong, en service dans la province
de Cho-lon, qui était, comme son collègue Chiêu, un homme d'une moralité
supérieure, pratiquant en toutes occasions la vertu de l'humanité chère
à Confucius, le doc-phu Lê Ba Trang, le huyên honoraire Nguyen Ngoc Tho
et sa compagne ex-Madame Monnier, Cochinchinoise très riche, employant
depuis de longues années une partie de ses revenus à des œuvres de bien
faisance et de charité.
Le
Phu Chiêu, qui avait tout d'abord été désigné pour remplir les fonctions
de chef suprême de la religion, de pape du Caodaïsme, tint à rester à
l'écart et fut remplacé par Lê Van Trung.
Comme
je demandais à l'un des principaux dignitaires les raisons de l'attitude
de Chiêu, il me fut répondu qu'il avait été le premier Caodaïste de Cochinchine,
qu'il aurait dû normalement remplir les fonctions de chef suprême de cette
religion, mais qu'il s'était montré une épreuve que Dieu lui avait assignée
comme il en impose à tous les êtres supérieurs ayant de les élever, d'un
degré, sur l'échelle dont le sommet est la perfection et qu'il était,
de ce fait, obligé de racheter la faiblesse dont il avait fait preuve
avant de reprendre la place à laquelle son passé semblait lui donner droit.
"
Le
Pape du Caodaïsme
La
conversion de M. Lê Van Trung, qui devait devenir Pape du Caodaïsme, fut
l'un des grands événements en Indochine :
C'était
également en 1925, M. Lê Van Trung habitait à Cholon-ville. Adonné à diverses
entreprises, dans le tumulte de cette ville vouée au culte de l'argent,
il avait l'esprit complètement éloigné de la religion. Un soir, sur l'invitation
d'un de ses parents, spirite convaincu et appartenant à une secte religieuse
dite " Minh-Ly "(1) à Saigon, il se rendit à une séance médiumnique
qui devait avoir lieu dans la banlieue, à Cho-gao.
A
cette réunion, ce fut l'Esprit Ly Thai Bach qui se manifesta. Prenant
à part M. Trung, Il lui révéla son origine spirituelle et lui annonça
en même temps sa prochaine mission religieuse. Il exhorta alors à se soumettre
aussitôt au régime imposé par la foi nouvelle. Touché par la grâce, M.
Trung changea sans hésiter de vie. Soutenu par sa foi, il eut le courage
de cesser aussitôt de fumer l'opium et de suivre le régime végétarien
; il abandonna également ses entreprises pour pouvoir se consacrer entièrement
à la religion.
La
conversion de cet homme, hier encore si attaché aux biens et aux jouissances
de la vie, est si frappante qu'on peut se demander si les séances spirites
organisées jusque-là à Cho-gao n'avaient pas été inspirées par des Esprits
missionnaires dans l'unique but de ramener M. Lê Van Trung dans la voie
de la Loi. En effet, lorsque celui-ci eut pris la résolution de vivre
selon la foi nouvelle qu'il avait embrassée, ils ordonnèrent la dispersion
du groupe spirite, au grand étonnement et à la profonde affliction de
ses membres.
A
Saigon, le Grand Maître, jugeant le moment venu, rapprocha ses médiums
de M. Lê Van Trung. Il envoya alors deux de ceux-ci ( MM. Cu et Tac )
chez le nouveau converti, avec ordre d'y organiser une séance au cours
de laquelle, il lui donnerait des instructions.
M.
Trung, qui ne connaissait pas ces médiums accepta cependant leur proposition
lorsqu'il eut appris les motifs de leur démarche.
Une
séance évocatrice eut lieu. Le Grand Maître, entre autres enseignements,
énonça à M. Trung sa grande mission prochaine dans la nouvelle
religion qu'il allait fonder pour sauver l'humanité.
Cette
révélation confirmait les allusions des divers messages spirites que M.
Trung avait reçus à Cho-gao avec d'autres médiums. Elle fortifia sa conviction
et l'encouragea à se consacrer sans réserve aux pratiques religieuses.
Quelque
temps après, le Grand Maître envoya MM. Trung, Cu et Tac auprès du phu
Chiêu, qui devait les guider dans la voie religieuse en qualité de frère
aîné. Celui-ci qui, de son côté, en avait été instruit par le Grand Maître,
leur fit le plus cordial accueil. Il les mit immédiatement en contact
avec ses premiers coreligionnaires. Le noyau caodaïste fut ainsi formé
qui comprenait une douzaine de membres, tous de culture française et employés,
pour la plupart, dans diverses administrations à Saigon.
La
ferveur et le désintéressement de ces pionniers de la première heure attirèrent
bientôt à eux un nombre d'adhérents de plus en plus élevé. La religion
caodaïste sortit alors de son cercle restreint pour se répandre dans le
peuple au début de l'an Binh-Dan ( 1926 ).
M.
le phu Chiêu, habitué à la solitude, fut contrarié par l'affluence des
adeptes, qui l'inquiéta. Fonctionnaire conscient de ses devoirs, il prit
la résolution de se tenir désormais à l'écart de ce grand mouvement religieux.
M. Lê Van Trung fut alors désigné par le Grand Maître pour le remplacer
ver fin avril.
Les
premiers oratoires
.
Les séances spirites continuèrent de plus en plus nombreuses chez
des particuliers, et principalement dans les oratoires organisés, dans
chacun des centres suivants : Cholon-ville, Cân-giuôc, Lôc-giang, Tân-dinh,
Thu-duc et Câu-kho. Deux médiums furent affectés à chaque oratoire pour
recevoir les enseignements du Grand Maître. L'admission des nouveaux adeptes
y fut également décidée. Les adhésions vinrent en masse ; elles s'élevèrent
même à plusieurs centaines d'inscriptions nouvelles à chaque séance.
La
déclaration officielle du Caodaïsme
La
nouvelle religion prit très rapidement de l'extension, tant elle fut reçue
avec enthousiasme, surtout par le peuple. Soucieux d'agir au grand jour
et de se tenir dans les limites de la plus stricte légalité, ses dirigeants
firent une déclaration officielle signée de 28 personnes, qu'ils adressèrent
à la date du 7 octobre 1926 à M. le Gouverneur de la Cochinchine. A cette
déclaration fut jointe aussi une liste d'adeptes comportant les signatures
des 247 adeptes présents à la cérémonie ayant consacré l'existence officielle
du Caodaïsme.
La
propagande.
Après
avoir fait cette déclaration, à laquelle le Gouvernement local avait reversé
un accueil courtois, les dirigeants de la " Grande Voie " organisèrent
des missions de propagande dans l'intérieur.
Celles-ci
étaient au nombre de trois, dont une pour les Provinces de l'Est, une
pour celles du Centre et une pour celles de l'Ouest.
En
moins de deux mois, plus de 20 000 personnes, parmi lesquelles de nombreuses
notabilités indigènes, se convertirent à la nouvelle religion. Ce fut
grâce au spiritisme, et surtout à l'infinie bonté de Dieu, qui se manifesta
toujours à chaque prière invocatoire et dont les messages eurent une influence
décisive sur les assistants, que le Caodaïsme doit ces conversions en
masse.
Ce
grand succès est dû également à la forme du nouveau culte, lequel n'a
rien de contraire à ceux des principales religions pratiquées dans le
pays.
La
fête de l'avènement du Caodaïsme.
Dès
le 10ème jour du 10ème mois ( 14 -11-26 ), les tournées de propagande
furent interrompues. Tous les efforts des dirigeants furent concentrés
sur la fête de l'avènement du Caodaïsme. Celle-ci eut lieu les 14, 15
et 16 du 10ème mois de l'année Binh-Dân ( 18, 19 et 20 novembre 1926 )
dans la pagode Tu-Lâm-Tu, située à Go-ken ( Tây-ninh ). Le Gouverneur
Général de l'Indochine, ainsi que le Gouverneur de la Cochinchine et les
grands fonctionnaires européens et indigènes y furent invités.
Célébrée
avec solennité, cette fête réunit un nombre considérable d'adeptes accourus
de toutes les Provinces de la Cochinchine. Elle attira également des milliers
de profanes venus en curieux aussi bien qu'en observateurs. La présence
de M. le Capitaine Monet, un grand spirite français, y fut également remarquée.
Ce
fut pendant cette fête que le Sacerdoce Caodaïste fut institué et que
le nouveau Code religieux fut établi et promulgué.
Le
siège définitif du Caodaïsme.
Le
Tu-Lâm-Tu est une pagode bouddhiste nouvellement construite par le hoà-thuong
Giac hai de Cho-gao ( Cho-lon ), qui l'avait affectée à la nouvelle religion
à laquelle il avait été converti. Mais après la fête, les fidèles bouddhistes
qui avaient fourni les fonds pour l'édification de ce temple et qui n'avaient
pas été consultés sur sa désaffectation, réclamèrent son retour à sa destination
primitive.
D'autre
part, l'expérience avait démontré que cette pagode était trop petite et
que le terrain sur lequel elle est bâtie était trop exigu pour permettre
d'installer convenablement le Siège de la nouvelle religion naissante,
appelée à un grand avenir.
Sur
les indications d'un Esprit supérieur, le terrain sur lequel se trouve
actuellement le temple provisoire, fut donc choisi et acheté pour y fixer
définitivement le Saint-Siège Caodaïque. Situé au village de Long-thành,
province de Tây-ninh, il est assez vaste ( 100 ha. environ ) pour répondre
aux besoins actuels et futurs.
|