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Religion des Annamites (1)

Notes de lecture : cette rubrique est destinée à faire partager à nos amis internautes les écrits permettant à mieux appréhender la spiritualité des vietnamiens. Bien entendu, vous pouvez aussi apporter vos contributions, attendues et appréciés, à l'élargissement du cercle des connaissances.

Trân Hoang Vân.


" LA RELIGION DES ANNAMITES "

Du révérend père Léopold Cadière

Dans "Croyances et pratiques religieuses des annamites"

Une publication en 1944 de la Société de géographie de Hanoi.

 

Il m'est apparu important pour bien saisir les recherches du Père Cadière, de reprendre ses mots prononcés en 1942 au Viêt-Nam ( pays d'Annam à l'époque) :

"J'ai étudié leurs croyances, leurs pratiques religieuses, leurs mœurs, leurs coutumes et je suis convaincu que le peuple annamite est profondément religieux, que ses croyances sont pures, et que, peut-être, lorsqu'il a recours au Ciel, lorsqu'il sacrifie au Ciel, il s'adresse au même Être tout puissant que j'adore moi-même en le nommant Dieu…."

"Ayant étudié et compris les annamites, je les ai aimés…".

"Je les ai aimés à cause de leurs vertus morales…"

Il nous est certain que ce Père aime profondément les viêtnamiens ; ce qui explique la profondeur de ses études.

Il nous livre dans "Croyances et pratiques religieuses des annamites" un aperçu rapide, mais clairvoyant de ce qui est le plus secret dans chacun des viêtnamiens ( qu'il appelait annamites),  à savoir leur vie spirituelle, qui, comme venant du temps éloigné des premiers ancêtres, a perpétué jusqu'à nos jours, au-delà des vicissitudes de l'Histoire. Relisons ce qu'il a écrit :

La vraie religion des annamites  est le culte des Esprits. Cette religion n'a pas d'Histoire, car elle date des origines de la race. Tout au plus pourrait-on, en étudiant la pénétration de la civilisation chinoise en pays annamite, noter quelques étapes de l'introduction du Confucianisme et du Taoïsme, considérés non pas en tant que systèmes philosophiques, mais comme deux ensembles de faits religieux et de faits magiques coordonnés. Et encore ne faudrait-il pas remonter bien haut, sans doute, dans la suite des siècles: des Européens qui vivaient à Hanoi ou à Huê au XVIIe siècle, nous ont laissé des descriptions des rites essentiels, tels que le sacrifice du Ciel, qui permettent de conclure que l'imitation serviles des cérémonies propres à la Chine est un fait récent en pays annamite.

 

La vie religieuse des Annamites de toutes les classes de la société est basée sur une croyance profondément ancrée dans leur conscience, c'est que les esprits sont partout. Ils volent, rapides, dans les airs, et arrivent avec le vent. Ils s'avancent par les chemins ou descendent le cours des fleuves. Ils se cachent au fond des eaux, dans les gouffres dangereux aussi bien que dans les mares tranquilles. Ils affectionnent les cols de la Chaîne annamitique et l'ombre meurtrière de la forêt. Les pics élevés, les rochers, qui barrent les fleuves, une simple pierre, peuvent les abriter. Les arbres touffus leur donnent asile ou certains animaux possèdent ou peuvent acquérir leurs vertus. Ils se manifestent par les faits les plus simples, les plus communs, par le chant d'un coq, par le cri d'un rat musqué, par le hululement d'un chat-huant, par une lueur dans la nuit.

 

Et ces esprits répandus partout dans la nature, ne sont pas inactifs. Ils se mêlent à la vie de l'homme et influent sur sa destinée. Ils s'attachent à nous depuis notre conception jusqu'à notre mort, et même au-delà, et notre malheur ou notre bonheur dépend d'eux. C'est d'eux que découlent la vie ou la mort; ils sont la cause des maladies, des pertes de récoltes, des échecs aux examens, de la stérilité des femmes, des épizooties, des pertes d'argent, comme de tous les évènements qui rendent les hommes heureux. Leur activité ne se relâche jamais. Ils surveillent tous les actes de la vie de l'homme et en assurent le succès ou les rendent stériles. L'homme se meut dans deux mondes, le monde que nous voyons, le monde naturel, et celui que nous ne voyons pas, le monde surnaturel. L'homme s'agite, il calcule, il fait des efforts, il s'applique, mais tout cela peut être vain, car la réussite ne dépend pas de lui seul; au-dessus de lui, à côté de lui, sont des forces invisibles qui travaillent en même temps que lui, pour lui ou contre lui. Les humbles compagnons de l'homme, les animaux domestiques, ses instruments, ses ustensiles journaliers les plus infimes, sont sous la dépendance de ces forces mystérieuses.

 

Et dans cette action continuellement conjuguée, la part de l'homme est bien minime; ce sont les forces invisibles qui l'emportent. Telle est la croyance qui explique tous les actes de la vie religieuse des Annamites.

 

Cette vie religieuse ne se réduit pas, comme sont portés à le croire des Européens insuffisamment renseignés, à quelques actes accomplis de temps en temps, avec indifférence ou par habitude. C'est un ensemble de rites, de gestes religieux, de maintiens, d'actes intérieurs, d'états d'âmes, qui informent totalement la vie journalière. Les gens du peuple, les paysans, surtout les pêcheurs, les bûcherons, les femmes qui courent d'un marché à l'autre pour vendre leurs légumes ou leurs pauvres marchandises, ont leur esprit constamment tendu vers le surnaturel. Ils vivent en la présence des esprits : "comme s'ils étaient présents» ? Le conseil que donnait Confucius, il y a cinq siècles, est encore observé dans toute sa réalité. Les classes instruites, les artisans qui manient les puissantes machines modernes, les étudiants initiés aux disciplines occidentales, n'échappent pas à cette emprise du surnaturel; des faits d'expérience prouvent que la croyance ancestrale peut sommeiller au fond de leur cœur, mais qu'elle se réveille, aussi active que chez les autres Annamites, à la première occasion, au premier danger. 

 

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La Religion bouddhique, telle qu'elle est pratiquée chez les Annamites, admet un intermédiaire, qui est le bonze, entre l'homme qui veut faire un acte de religion et la divinité à laquelle il s'adresse. Dans le culte des Esprits, l'impétrant s'adresse directement aux êtres surnaturels qu'il implore; il n'y a pas de personne qui puisse être considérée comme un prêtre.

 

Et le père continue dans son récit :

Il est des cas, cependant, où l’Annamite a recours à un intermédiaire qualifié, qui fait des gestes qui lui sont propres et qui est indispensable pour la bonne exécution de l’acte religieux : c’est l’ensemble de ces rites que l’on désigne habituellement par le terme de Taoïsme.

 

Dans certains cas, assez fréquents, le rôle de cet intermédiaire apparaît nettement délimité. Une personne est malade. C’est un esprit qui est en cause. Mais quel est cet esprit, est-ce l’un des morts de la famille qui ne repose pas en paix ?  Est-ce la Bà Cô, la « Dame Tante paternelle », la vieille fille de la maison morte sans enfants, qui réclame du personnel ? Est-ce le génie d’un des nombreux pagodons du village, le génie d’un arbre, d’une borne qui a été offensé ?  On a recours au devin qui, après certains rites et des calculs compliqués, énonce d’une façon certaine quelle était la cause du mal. Il indique en même temps de quelle façon il faut apaiser l’esprit.

 

Tantôt il faudra faire de simples offrandes alimentaires, tantôt on enverra à l’esprit, par la combustion, un mannequin en papier, un « remplaçant », qui tiendra la place de la personne malade que l’esprit veut faire mourir pour la prendre à son service dans l’autre monde ; ou bien on aura recours à une mesure plus importante et on changera les ossements de place. Le rôle du spécialiste est terminé. Le reste ne le regarde plus. Ce sont les parents du malade qui s’en acquitteront. Ils prépareront les offrandes ordinaires, : un poulet, du riz gluant, du vin, du papier d’or et d’argent, des bâtonnets d’encens ; ils se rendront au temple du génie, ou sur la tombe, s’il s’agit d’un mort ; Ils offriront les présents, feront les prosternations, prieront l’esprit d’accepter l’offrande et de ne plus inquiéter le malade. C’est eux, en un mot, qui se mettront directement en relation avec l’esprit. Le sorcier n’a fait que leur indiquer l’esprit qu’il fallait l’apaiser. Il ne se substitue pas à eux dans l’acte religieux proprement dit, dans l’acte de l’offrande.

 

Souvent même, dans les cas ordinaires, on laisse de côté cet intermédiaire. On peut dire que la magie, chez les Annamites, a envahi le culte tout entier, du moins elle se mêle aux actes principaux du culte, à  presque tous les sacrifices. C’est que le sacrifice est acte d’une importance capitale. Il est destiné à apaiser les êtres surnaturels, à se concilier leurs faveurs. Il faut qu’in soit agréé par ces puissances invisibles ; il faut qu’il soit offert au moment voulu, dans les circonstances qui en rendront l’acceptation certaine.

 

L’acte religieux, tel qu’il vient d’être délimité, c’est à dire celui qui met en rapport direct l’homme avec les esprits, est presque toujours une offrande.

 

Il y a d’exception que pour l’acte appelé  « KHAN. Ce mot désigne parfois un simple mouvement intérieur de l’âme vers les êtres du monde surnaturel. Une femme qui va vendre ses légumes au marché et qui passe devant un temple, un arbre, une pierre, où réside un esprit vénéré, s’adresse mentalement à cet être, et le prie de lui procurer une vente rémunératrice. C’est un  KHÂN. Un exemple plus solennel, mais aussi simple dans ses éléments, se trouve dans le culte que les Annamites rendent au Ciel. Lorsqu’un grave danger menace, lorsque par exemple, par exemple, un homme, atteint d’un mal humainement inguérissable, est sur le point de mourir, les parents de cet homme sortent de la maison  et, tenant une poignée d’herbe dans la bouche, ils se prosternent, en se fondant en larmes et en criant, : « Mordant une poignée d’herbes, nous nous prosternons devant Toi, nous Te demandons de venir à notre aide et de nous sauver.

 

Dans l’usage ordinaire, le mot KHÂN signifie « faire une promesse, s’engager par vœu » C’est que l’acte religieux ainsi dénommé est souvent accompagné d’un vœu. C’est une demande impliquant l’idée d’un engagement : si l’on est exaucé, on fera telle chose, ordinairement telle offrande, comme témoignage de reconnaissance. Un exemple nous en est fourni par le culte que l’on rend à certaines pierres, qui passent pour avoir un pouvoir surnaturel, pour être la résidence d’un génie, et auxquelles on vend ou on confie les enfants maladifs, qui menacent de mourir.

 

Parfois le pacte, la promesse, le vœu n’est pas exprimé ; il est inclus dans l’acte d’offrandes : l’impétrant est censé s’engager à renouveler les offrandes, à continuer le culte, si l’esprit lui accorde les faveurs demandées.

 

Dans certains cas, les cérémonies du KHÂN se rapprochent de celle du « CUNG », qui sont destinées aux morts. Et le Père Cadière poursuit :

 

Ce dernier mot ( « CUNG ») s’applique aux offrandes que l’on fait aux morts (dont le culte des ancêtres que nous verrons plu loin); Mais il désigne aussi une offrande privée, faite à des génies ; et on l’emploie souvent dans un sens générique pour toutes sortes de sacrifices, mêmes pour les sacrifices solennels.

 

Et le Père Cadière cite le P. Louvet : « On commence par préparer le repas des ancêtres. Il se compose de tous les mets d’un service ordinaire ; mais, presque toujours, on fait usage du riz gommeux, « nêp », qu’on colore de nuances variées, et qu’on dispose de manière à frapper agréablement les yeux par l’harmonie des couleurs. Puis on orne de son mieux l’autel domestique, sur lequel on expose la tablette ou les tablettes des Ancêtres. Chacun à son rang. On allume devant les bâtonnets d’encens, qui brûlent lentement, en répandant leur parfum par toute la maison. Quand les mets ont été déposés sur l’autel, dans l’ordre prescrit par les rites, on procède au sacrifice, qui se fait ordinairement le matin, au lever du soleil. Le chef de la famille, entouré de tous ses parents, se place devant l’autel; il verse du vin dans trois petites tasses, en récitant la formule suivante : « Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de mon Ancêtre, un tel. J’invite tous mes Ancêtres à venir avec cet aïeul prendre part à la réception que je leur offre respectueusement ». Alors, lui et toute sa famille font devant la tablette trois « lay »ou prosternations.….. »

 

Le mot « TÊ » désigne l’offrande solennelle, celle que l’on fait en l’honneur des grands génies, le Ciel, la Terre et les Moissons, Confucius, les génies protecteurs des villages.

 

C’est toujours un acte collectif, une offrande faite par la nation ou par l’ensemble des citoyens de la commune, avec un grand déploiement des drapeaux, avec le concours de corps de musiciens, avec de nombreux officiants revêtus d’habits spéciaux.

 

Le rituel le plus complet de l’offrande solennelle est celui du sacrifice au Ciel, offert sur le tertre nam-giao, tous les trois ans, jadis toutes les années, par l’Empereur ou par son délégué, assisté de nombreux ministres secondaires.

 

Lorsque c’est un objet naturel que l’on vénère, ou, si l’on veut, lorsque l’esprit auquel on rend un culte réside dans une pierre ou dans un arbre, au fond d’une gouffre, c’est sur cet objet même, sur les branches ou au pied de l’arbre, devant le rocher, que l’on dépose les offrandes offertes à l’esprit. Souvent, un petit espace aplani, un tertre en terre, même un autel en maçonnerie, attirent l’attention des dévôts. De même le culte des morts est célébré en partie devant la tombe, à même le sol.

 

Certaines génies sont vénérés sur des tertres en terre, parfois en maçonnerie. C’est d’abord le Ciel, dont le tertre est rituellement rond, et la Terre, dont le tertre est carré. Les génies des montagnes, et des fleuves, ceux du sol et des céréales, le patron de l’agriculture, l’humble patron des gardiens de buffles, les esprits des Cinq Eléments, d’autres encore, affectionnent aussi les tertres, bien que souvent on leur élève des édicules. L’usage varie aussi suivant les lieux, suivant les époques.

 

D’autres fois, l’esprit est vénéré sur un autel élevé en plein air. Il en est ainsi pour les esprits des arbres et des pierres, pour le Ciel, en certaines régions, pour les âmes des enfants mort-nés, des mendiants tombés au bord des routes, pour toutes les âmes abandonnées. Cet autel en maçonnerie affecte, dans certain cas, la forme d’un trône, et c’est surtout pour le culte des Esprits des Cinq Eléments, principalement pour la Dame-feu : pour désigner les apparitions de cet esprit, les Annamites se servent d’un mot qui signifie : « s’asseoir, siéger, trôner ».

 

Les lieux de cultes sont de plusieurs sortes

Le lieu  de culte le plus général, le plus fréquent, c’est le temple, soit le temple improprement dit, c’est à dire une simple travée de la maison d’habitation, réservée au culte des ancêtres et du patron du métier qu’exerce le propriétaire de la maison, soit le temple proprement dit, édifice spécial consacré uniquement au culte. Il en est est de divers modèles. Les plus simples sont constitués par une petite niche en bois, suspendue à l’une des parois de la maison d’habitation, ou posée, à l’extérieur, sur un poteau. La niche, et son support peuvent être en maçonnerie. Parfois la niche, toujours en bois, prend certaines dimensions ; elle est alors supportée par quatre colonnes, et le tout est recouvert par une toiture en paillote ou en tuiles. Un modèle plus développé donne une maison d’habitation ordinaire, avec plusieurs fermes de 4, 6 ou 8 colonnes formant des travées et toiture en paillote ou en tuiles. La façade principale et l’entrée sont d’ordinaire sur un des longs côtés du rectangle formé par l’édifice ; mais certains génies, ou les génies de certains villages veulent leurs temples orientés dans le sens contraire, la façade principale sur un côté de pignon. Les grands temples sont formés de deux maisons juxtaposées dans le sens de la longueur, ; la première forme pronaos et la seconde est le temple véritable.

 

D’autres fois, surtout dans le Nord-Annam et le Tonkin, le sanctuaire du génie est une chambre accolée à l’édifice principal et faisant équerre avec celui-ci. Tout autour sont des édifices secondaires, des bâtiments de service, des pièces d’eau plantées de lotus, des arbustes rares, des fleurs, des grands arbres au feuillage touffu, des rocailles, le tout enclos dans un mur d’enceinte percé de portes monumentales. Un temple bien entretenu, une vieille pagode tombant en ruines au fond d’un bosquet, sont ce qu’il y a de plus beau à voir en pays annamite.

 

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